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Chroniques
Charles Gounod
Mémoires d’un artiste
Restées inachevées à la mort de leur auteur (1818-1893), les Mémoires d’un artiste ont sans doute été amorcées par Charles Gounod à l’été 1876, puis reprises en 1884. La période est difficile pour le musicien qui a fui la guerre contre la Prusse en s’installant à Londres, de septembre 1870 à juin 1874, et peine à retrouver sa place dans le milieu parisien qui célèbre Berlioz et Wagner. De plus, un parfum de scandale entoure les publications de la cantatrice Georgina Weldon, une bienfaitrice avec qui l’amitié a tourné au cauchemar. Le récit de sa vie par lui-même offrait donc l’avantage de présenter sa vérité tout en regagnant la sympathie du public.
Les lecteurs de La Revue de Paris ont accès à ces pages inédites au cœur de 1895, ainsi qu’à des anecdotes déjà publiées en anglais par The Century trois ans plus tôt : Mes souvenirs de pensionnaire de l’Académie de France à Rome. Centrées sur la figure maternelle – Victoire Lemachois, née à Rouen en 1780 –, elles évoquent les premiers contacts avec la musique (Jean-Louis Adam, Nicolas-Joseph Hüllmandel, Louis-Emmanuel Jadin, Hippolyte Mompou, Antoine Reicha, etc.), le talent précoce du signataire ainsi que sa détermination à en faire son métier. Baccalauréat ès lettres et Prix de Rome en poche, Gounod arrive fin janvier 1840 à la Villa Médicis, alors dirigée par Jean-Auguste-Dominique Ingres. D’abord terrassé par la mélancolie, le jeune homme finit par apprécier l’austère capitale italienne où il se lie avec Fanny Hensel et Pauline Viardot [lire notre critique de leur correspondance]. Après trois ans et demi hors de France puis quatre ans et demi comme maître de chapelle à la paroisse dite des Missions Étrangères, le trentenaire se tourne vers ce qui va devenir son principal champ de bataille : l’opéra. Il écrit :
« La musique religieuse et la symphonie sont assurément d’un ordre supérieur, absolument parlant, à la musique dramatique ; mais les occasions et les moyens de s’y faire connaître sont exceptionnels et ne s’adressent qu’à un public intermittent, au lieu d’un public régulier comme celui du théâtre. Et puis quelle infinie variété dans le choix des sujets pour un auteur dramatique ! Quel champ ouvert à la fantaisie, à l’imagination, à l’histoire ! »
Grâce à des emprunts à la correspondance et à divers écrits (article, préface, etc.), la genèse de ses principaux ouvrages lyriques permet de suivre l’auteur de la Messe vocale (1843) [lire notre chronique du 14 mars 2018] bien après ses années d’apprentissage : Sapho (1851), Ulysse (1852), La nonne sanglante (1854), Le médecin malgré lui (1858), Faust (1859), etc. Nous avons aussi accès aux événements privés (nouveaux voyages, crises conjugales, épisodes dépressifs) mêlés aux soucis professionnels (arnaques d’éditeur, échecs théâtraux), lesquels complètent efficacement notre connaissance du créateur dont le Palazzetto Bru Zane fête le bicentenaire avec cette nouvelle édition revue et augmentée, présentée par Gérard Condé.
LB